Je me souviens si bien d’une visite chez Kumi Sugaï à Paris avec mon paternel. C’est peut-être la première fois que je me trouvais à échanger avec un Japonais, j’étais tout jeune, je garde un sentiment de précision et de douceur, de rigueur et d’espièglerie quand il découvrit quelques esquisses pour la peinture commandée par Porsche. Depuis chaque fois que j’ai pu rencontrer un être du pays du soleil levant je garde en mémoire cette douce impression et ce calme résonne en moi. Au tout début des années 80′, alors que nous crépitions « artzineurs » sur les photocopieurs des supermarchés perpignanais pour arriver à sortir nos petites productions indépendantes. Il tomba dans ma boîte aux lettres une missive postée du Japon, un format particulier, une longue enveloppe non scellée dans laquelle se trouvait deux documents. Un des premiers exemplaires de Brain Cell et une liste d’artistes et de collectifs tapée soigneusement à la machine et listant par pays le nom et l’adresse des participants. L’exemplaire déplié, surgissait un patchwork de toutes les emblématiques propositions que l’artiste recevait par la poste et qu’il synthétisait, sans les transformer, leur donnant la couleur d’une autre vie. Tampons, typographies manuelles, logos, lettres, dessins, encrages, signatures, pochoirs, autant de présences symptomatiques des univers planétaires du monde du mail-art, d’esprit Fluxus, Dada, Post punk et autres, du fanzine, poètes, auteurs, acteurs, musiciens, confondus. Les décideurs et les joyeux candides mêlés, dans un rythme inégalable transportant les codes de l’art pariétal au dripping, en passant par le ready-made et une conceptualisation du tempo. Jamais ralenti, l’auteur persiste depuis plus de quarante ans et régulièrement inonde sereinement le Monde entier qui a participé et réceptionne ainsi le gage de la fraternité universelle.
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J’aime depuis les années 80′ le travail de Ryosuke Cohen. Fourmillements des horizons, égalité, relecture sans cesse, porosité du bonheur, identité en stand-by, égalité des proportions et du mérite, orchestration des tons, symphonie des possibles. Pas d’ennui, une longue route du cerveau à la propension des secteurs de l’invisible pensée, chaque brin est une herbe nouvelle un goût des revenants, une appréciation sans borne des devenirs. La conception, le format, la rigueur, la possibilité d’un rêve qui s’étire au vent des cerisiers en fleurs. Il n’y a pas de doute ni d’orgueil, une partie du monde rejoint l’autre, sans participer à un système marchand, sans une couleur dominante, sans rupture ni guerre. La possibilité encore de dire et de poster correspondre, sauter les rivières et les mers, les océans et les montagnes. Nous continuons à nous écrire parfois une petite tête, un petit mot, une bordée d’autres informations et des projets mais la destinée du travail de Ryosuke est inscrite dans l’empreinte de ce temps destiné principalement au passage, à la marque indélébile fabriquée avec la peau des autres, la fusion sans paroles, le renouvellement des actes par l’essence des gratitudes et la vitalité de s’exprimer en collaboration régulière pour le bonheur des ouvreurs de boîte aux lettres.
Christophe Massé, 20 avril 2024
Fugace propose plus que présente, c’est une série de portraits poétique d’un travail. Artiste que j’aime, car le travail me fascine et m’immerge dans des rêveries particulières.
Fugace hébergé par Artishere. Pour mémoire : #1 Elisabeth Querbes – #2 Cathrine Muryn. – #3 Sophie Pelletier – #4 Virginie Delannoy – #5 Céline SB
Ryosuke Chen – © « Brain Cell » – Multiple sur papier – 2024